Ici au Pakistan, c’est le fantasme de tous les journalistes étrangers: aller faire un reportage dans les zones tribales et notamment dans le Waziristan. Mais comment passer les check-points? Comment faire un reportage si on ne doit être vu de personne et si les personnes qui nous acceuillent risquent leur vie? C’est un des rares endroits au monde où on ne sait pas vraiment ce qu’il se passe…
Pour en avoir une idée, nous nous sommes rendus au plus près de la frontière avec le Waziristan, à Tank, là où les journalistes étrangers ont encore le droit d’aller, sans risquer de perdre leur visa ou de se faire agresser par les services secrets…
La ville de Tank (photo prise de voiture) est située à quelques kilomètres des zones tribales, à la croisée de routes menant au Nord-Waziristan. Dans la poussière et le vacarme de la rue principale, les commerçants présentent leurs étalages aux clients, les camions attendent leurs chargements et les paysans circulent sur leurs charrettes. Pourtant, pas une voiture ne passe sans qu’on jette un œil suspicieux sur ses passagers. Les hommes sont plus que méfiants… Deux journalistes pakistanais de Peshawar et D.I.khan ont accepté de travailler avec nous. L’un d’eux plutôt tendu pendant tout le reportage. Pas d’arrêt sur la route. Arrivés à Tank, nous sortons de la voiture une fois cachés dans une cour de maison, chez le journaliste local. Pour sa sécurité et celle de sa famille, personne ne doit le voir avec des étrangers à la ville ou au pays. Il pourrait être accusé d’espionnage par les Taliban locaux ou les services secrets pakistanais… Trop de journalistes pakistanais ont ainsi « disparus » ou se sont fait assassiner parce qu’ils allaient mettre le nez dans les affaires des renseignements. Nous resterons chez ce journaliste pour toutes nos interviews; pour que les personnes que l’on rencontre ne soient pas vues avec deux occidentaux…
On nous confirme qu’avec l’hiver, les habitants du Waziristan descendent des montagnes et se retrouvent ici, hors des zones tribales, les Taliban pakistanais inclus. Ils sont de plus en plus puissants, font fermer (ou bombardent !) les magasins de musiques et de films, interdisent aux femmes de sortir… Les autorités pakistanaises sont impuissantes ou laissent faire. Certains partis politiques religieux et les services secrets protègent les militants islamistes. Le jour de notre passage à Tank, il n’y avait aucun représentant de la police ou de l’etat en ville (photo dans le bazaar, prise de voiture). Et quand on parle du rôle de certaines madrasas locales dans le djihad, il faut couper le micro, les gens ont peur de témoigner.
Nous partons ensuite chez un ami qui habite dans la campagne à quelques kilomètres de Tank. Propriétaire terrien, éleveur de chevaux. Un homme jeune et cultivé qui nous raconte que les militants sont de plus en plus forts. Ils ont les armes, ils tiennent la région et imposent leur loi. Notre ami, qui se laisse maintenant pousser la barbe, ne sort jamais sans son arme et son garde du corps (photo).
Grâce à lui, nous pouvons nous rendre dans son village, à quelques kms de Tank. Là, nous sommes reçus dans une madrasa où les enseignants apprennent aux jeunes que c’est un devoir de combattre par les armes en Afghanistan… A quelques kilomètres de chez eux, derrière une frontière qui n’existe que sur le papier, pourquoi ne partiraient-ils pas?
Deux élèves de l’école (photo).
J’étais voilée jusqu’aux yeux (difficile dans ces cas-là de boire le thé… Sic) et le responsable de l’école n’a pas souhaité m’adresser directement la parole. Ca a jeté un froid, même pour tous les hommes qui l’entouraient en buvant ses paroles. Nous sommes partis assez vite de l’école et de la ville avec le sentiment qu’il faudrait rester bien plus longtemps pour bien comprendre vraiment ce qu’il s’y passe.
Une ambiance plutôt tendue finalement, du début à la fin du reportage. Mais qui laisse déjà un bon aperçu de ce que doit être la situation dans le Waziristan…
Salut Claire,
C’est oufff ton histoire… Ca doit être incroyable de voir le Waziristan, mais moi j’aurais été bien trop flippée…déjà que j’ai peur lorsqu’on se perd sur un barrage à qques km d’ISB, alors là…
Gaffe au loup tout de même…
Je ne connaissais même pas le nom « Waziristan » !
Merci pour ce magnifique reportage. Le peu que vous dites du statut des femmes me fait froid dans le dos.
puis-je vous demander, sans que vous dénociez vos contacts, comment vous avez pu entrer dans les zones tribales : je connais bien la région (voir mon blog) et mon mari, qui est Peshawari et qui possède une carte de presse pakistanaise, ne peut pas entrer dans cette zone.