Je suis très malade, j’ai trop de blessures dans mon cœur. Je ne peux même pas dire ce que je ressens. Quand je parle, les mots n’ont plus de sens… Les yeux de Bibi Halima se remplissent de larmes quand elle nous parle. Son visage fatigué, ridé, n’a plus d’âge. Nous sommes allées dans un petit village, Mondozaï, dans la province de Khost. Six mois plus tôt, des soldats américains ont tué trois des fils de Bibi Halima et un neveu. Ils sont entrés dans leur village, au milieu de la nuit, en pensant trouver des Taliban dans les maisons de terre. Baharam, le dernier fils de Bibi Halima, indemme, raconte : ils sont arrivés avec un traducteur qui avait un accent étrange : nous avons pris peur en pensant à des Taliban et l’un de nous a tiré en l’air. Alors les Américains ont répliqué avec leurs armes et tué 5 personnes de notre village, dont une adolescente.
Baharam, la cinquantaine, porte un turban noir autour de la tête. D’une voix douce et remplie d’émotion, il rejoue inlassablement les évènements de la nuit au milieu de la cour de l’habitation en terre. Les soldats étaient debout sur les murs, postés au quatre coins de la maison quand ils ont tiré et tué mon frère. Ensuite, ils sont entrés, ont regroupé les hommes encore debout et ont demandé à voir nos papiers. Les femmes de la famille ont été regroupées dans une chambre.
Baharam entre ensuite dans une pièce sombre et pointe du doigt les vitres éclatées, la télévision et les meubles détruits par les soldats. Les traces de balles sont encore visibles. Il s’assoit sur le tapis de sol à côté de sa mère et d’un adolescent silencieux. Ruhula est son neveu. Les regards se tournent vers lui quand il se met à parler. Je n’ai pas vu que mon père a été tué sur le coup. Les soldats m’ont attaché les mains et bandé les yeux. Ils m’ont frappé sur le tête et dans le dos, ajoute-t-il. Ensuite, ils m’ont jeté par terre.
A Mondozai, personne ne comprend pourquoi une telle erreur a pu être commise. Le village était connu pour son fervent soutien au gouvernement et pas un Taliban ne s’y était réfugié. Six mois plus tard, alors que l’enquête piétine, l’état d’esprit a changé. Pourquoi les Américains ne vérifient-ils pas leurs informations avant d’attaquer ? demande Bibi Halima. Nous ne pouvons pas leur pardonner…
Cette conclusion est celle d’une majorité d’Afghans qui sont désabusés et déçus. Les forces étrangères auraient tué cette année plus de civils que les combattants taliban. Petit-à-petit, la population tourne le dos aux forces internationales…